Sylvie CHARDON a été Secrétaire départementale UA de la FEN 78 à partir de la rentrée 87, membre du Secrétariat national UA et de la rédaction de la Revue « Enjeux-Unité et Action », et au titre de sa tendance, membre du Bureau National de la FEN. Elle a participé à la création de la FSU, à l’écriture des statuts et a été la première Secrétaire départementale de la FSU 78.
Elle a été amenée à présenter l’histoire de la création de la FSU lors du stage départemental du 10 décembre à Trappes, intitulé : « Quelle organisation syndicale voulons-nous ? ».
Voici sa présentation :
Le syndicalisme a subi, tout au long de son histoire, plusieurs périodes de rupture puis de réunification, notamment :
• Celle de 47 qui a vu la création de la CGT-FO, avec l’aide financière des US, dans un contexte de guerre froide.
• Celle de 92, qui a vu la naissance de la FSU.
L’ADN de notre syndicalisme : la Charte d’Amiens
La Charte d’Amiens, votée au Congrès de la CGT en 1906, définit encore aujourd’hui la conception du syndicalisme portée par la CGT, FO, Solidaires et la FSU. C’est-à-dire, un syndicalisme de « lutte de classes », – on dit plutôt maintenant « de transformation sociale ». On l’oppose généralement au syndicalisme « d’accompagnement » ou « des marges », théorisé par Simbron dans les années 90, qui consiste à inscrire les revendications dans des marges définies par les autorités politiques ou le patronat, c’est à dire de ne demander que ce que l’on peut obtenir. La CFDT et l’UNSA revendiquent cette conception du syndicalisme. Le syndicalisme de lutte part de l’idée que les intérêts des salariés et des patrons ne sont pas convergents et que le syndicat est là pour défendre ceux des salariés « jusqu’à la disparition du salariat et du patronat », y compris par la « grève générale »
Un autre axe fort de la Charte d’Amiens est l’indépendance du syndicat par rapport aux partis politiques. Les salariés, quelles que soient leurs choix philosophiques, politiques, religieux, ayant tous le même intérêt à se battre contre le patronat doivent donc s’unir dans une même organisation qui « n’a pas … à se préoccuper des partis ou des sectes ».
Le congrès de 1948 : la motion Bonnissel-Valière
En 47, lors de la scission de la CGT, la FEN choisit l’autonomie. Elle ne s’affiliera ni à la CGT, ni à FO. Ce choix est « provisoire », en attendant la réunification pour laquelle elle entend œuvrer . Ce choix de l’autonomie n’a donc rien à voir, contrairement à ce que l’on pense généralement, avec des considérations corporatistes. Les syndiqués vont garder le droit d’adhérer individuellement à l’une ou l’autre des Confédérations. FO mettra assez vite fin à cette possibilité.
Au congrès du SNI de 1948, la motion Bonnissel-Valière définit les principes de fonctionnement du syndicat qui dureront jusqu’en 91 et seront en partie repris par la FSU.
En particulier :
1. La possibilité pour les syndiqués de se regrouper en tendances (ou courants de pensée), contrepartie à l’unité maintenue :
• La liste A majoritaire, dite « autonome » deviendra UID (Unité, indépendance et démocratie) et dirigera la FEN jusqu’à la scission de 92 qu’elle provoquera.
• La liste B, dite « cégétiste », qui deviendra « Unité et Action » (UA), militera jusqu’en 1954 contre l’existence des tendances et pour l’adhésion à la CGT.
• L’École Émancipée (EE), tendance historique issue de l’anarcho-syndicalisme.
2. La représentation proportionnelle des tendances au sein des organes délibératifs, à partir du vote de tous les adhérents.
3. L’homogénéité de la direction. Ce point va être un élément essentiel qui conduira à la scission de 1992.
Il est bon d’évoquer les liens réels ou supposés entre les tendances et les partis politiques de gauche. La grille de lecture est longtemps restée : la FEN (en fait UID) proche des socialistes, le SNES (en fait UA) proche des communistes, EE proche des trotskystes. Évidemment, c’est très réducteur. Certes, c’est une décision bureaucratique du parti communiste qui met fin en 1954 à la double appartenance FEN-CGT et tous les communistes se retrouvent à UA. Mais UA a de tout temps confié des responsabilités de premier plan à des non communistes : André Drubay, qui vient du scoutisme et de Témoignage Chrétien clandestin a été le premier Secrétaire général UA du SNES en 67 ; Jean Petite, Secrétaire général adjoint du SNES de 81 à 85, Louis Mexandeau, Secrétaire national chargé des « pions » étaient tous deux militants socialistes . La tendance rompra le cordon ombilical avec le PCF à la fin des années 70. Sinon on ne peut pas expliquer la montée en puissance d’UA dans les années 90, au moment où le poids électoral du PCF s’affaiblit. EE n’a pas été épargnée par les luttes internes aux partis trotskystes, avec la fondation de l’EE-FUO, proche du Parti des Travailleurs, qui finira par partir à FO. Mais les liens entre EE et la Ligue Communiste Révolutionnaire sont distendus à la naissance de la FSU. Les militants socialistes sont divisés et, s’ils sont majoritairement à UID, ils sont aussi présents dans toutes les tendances. Enfin, s’il y a courroie de transmission entre le PS et UID, elle fonctionne dans les 2 sens : le PS tente d’instrumentaliser la FEN, en promouvant par exemple le regroupement des socialistes dans la seule tendance UID, et UID, en organisant les enseignants socialistes, tente d’influencer le PS et le gouvernement. Malgré tout, une partie du PS, autour de Michel Rocard, alors Premier ministre, jouera un rôle important dans la scission de 92.
La scission (91/93)
Il est paradoxal de noter que la FEN a su garder son unité en 48 lors de la guerre froide, et que c’est au moment où le bloc soviétique disparaît qu’elle se scinde.
Les difficultés qui vont aboutir à la scission sont tout aussi externes qu’internes.
Externes :
L’affaiblissement du syndicalisme après la fin des 30 glorieuses (choc pétrolier de 1974), période qui voit la situation des « masses laborieuses » se dégrader sans que le syndicalisme soit en mesure de s’y opposer, d’où une forte désyndicalisation et une forte division syndicale.
L’échec de la bataille laïque, avec la grande manifestation de 84 à Versailles et l’abandon du projet de Grand Service Unifié de l’Éducation nationale (projet Savary).
La fin du « Yalta » syndical, avec l’arrivée de FO (en 83) et de la CGT (en 85) sur les champs de syndicalisation qu’ils avaient jusqu’alors réservés à la FEN, pour respecter son choix de 1947.
Ces causes conjoncturelles vont conduire la direction UID de la FEN à partir dans trois directions
A l’interne, tenter de contenir la montée d’Unité et Action en regroupant tous les enseignants dans un grand syndicat (qui deviendra le « SE »), qui resterait à direction UID du fait de la règle de l’homogénéité des exécutifs.
Regrouper les syndicats autonomes, que ce soit ceux qui ont refusé de choisir en 47 ou des syndicats créés postérieurement, dans une union, surtout présente dans le secteur public (ce sera l’UNSA)
,Promouvoir un regroupement, sous une forme à déterminer, des syndicats « réformistes » adeptes du syndicalisme des marges. Le rapprochement est surtout souhaité avec la CFDT.
Enfin, la chute du Mur de Berlin, en 89, pèsera sur les événements, en ce sens qu’il donnera à penser à UID que le monde soviétique s’étant effondré, UA allait suivre le même chemin. Les dirigeants de la FEN n’avaient pas mesuré à la fois la distension des liens d’UA avec le PCF et l’ancrage de son orientation chez les adhérents sur des bases syndicales strictes.
Revenons sur les causes internes :
La cause principale, selon Raph Szajnfeld , est d’ordre sociologique. Du fait de la démocratisation, démarrée avec le collège Haby et amplifiée dans les années 80 (Chevènement et l’objectif des 80% au baccalauréat), le nombre d’enseignants du second degré va fortement augmenter. En 48, les adhérents du SNI représentaient 80% des adhérents de la FEN, en 92, ceux du SNI-PEGC en représentaient moins de la moitié. R. Szajnfeld pense même qu’alors toutes les revendications de la FEN sont dictées par la crainte de perdre la main sur la fédération. Ainsi, l’« école fondamentale » théorise l’unicité « école élémentaire – collège » au moment même où l’accès au lycée se démocratise, sous la pression conjuguée des besoins en travailleurs plus qualifiés et de la demande sociale. La revendication d’un corps spécifique de professeurs de collège ayant une formation plus courte et un statut moins avantageux que les certifiés va à l’encontre des aspirations des enseignants et des besoins du système éducatif. D’ailleurs, en 86, le ministre Monory met fin au recrutement des PEGC, malgré l’opposition farouche du SNI devenu SNI-PEGC, qui les syndique. L’affaiblissement numérique du SNI, qui va passer de 314 000 syndiqués en 77 à 156 000 en 92, son manque d’ambition et son suivisme par rapport aux gouvernements socialistes des années 80 qui va le décrédibiliser aux yeux des personnels, vont modifier les équilibres internes à la FEN, au détriment d’UID. Michel Deschamps pense, lui, que ce sont les divergences d’orientation plus que la démographie enseignante qui ont provoqué la rupture.
Entre 67 et 70, UA va prendre la direction de plusieurs syndicats (SNES, SNEP, SNPEN, SNESUP, SNCS ). Or, du fait de la règle de l’homogénéité des exécutifs, ces syndicats sont représentés dans la direction de la FEN par des minoritaires, parfois très minoritaire. Ainsi alors qu’UID n’obtient que 15% de voix dans le SNES, c’est un militant UID, Jacques Estienne -qui sera un élément actif de la scission-, qui le représente à la direction fédérale. Cette situation est intenable. On peut ajouter qu’UA se structure dès les années 60 dans le SNI-PEGC et progresse au point de diriger près du tiers des sections départementales SNI et FEN.
Avant les années 70, l’appareil fédéral était peu important (3 personnes) et les représentants des syndicats nationaux décidaient des orientations et des mandats. A partir du moment où tous les syndicats ne sont plus à direction UID, l’appareil de la FEN va gonfler jusqu’à atteindre une trentaine de militants, d’apparatchiks, qui fonctionneront de plus en plus en circuit fermé.
Au congrès de 1973, sentant la situation lui échapper, la FEN énonce une règle qui sera utilisée en 92 pour exclure le SNES et le SNEP : « Manifeste pour l’unité et la responsabilité de la FEN » qui prévoit d’exclure tout syndicat qui ne respecterait pas les choix fédéraux.
Le « Projet d’école de l’an 2000 » sorti du chapeau au Congrès de 1988 à la Rochelle ne prend en compte aucune des revendications des syndicats nationaux du secteur, en dehors du SNI. Même le SNETAA, à direction UID, n’est pas écouté sur son opposition au développement de l’apprentissage, ce qui le conduira à quitter la majorité fédérale et à créer la tendance « Autrement ». Il participera à la création de la FSU (qu’il quittera en 2001).
En 88/89, les syndicats à direction UA et UA en tant que tel mènent une action longue et forte pour la revalorisation. Cela débouchera sur des avancées concédées par le ministre de l’EN, Lionel Jospin, contre l’avis du Premier ministre Rocard. Ces avancées vont être lues, à la direction de la FEN, comme une défaite idéologique. Le courant de pensée UA fait la preuve qu’on peut gagner en « sortant des marges » et que loin de se contenter d’un syndicalisme de contestation, qu’il est à même de négocier et de signer des accords.
La scission proprement dite se déroule en trois actes :
Le Congrès FEN de 1991, à Clermont-Ferrand, où la direction fédérale tente de passer en force en programmant un Congrès extraordinaire destiné à modifier les statuts. Elle annonce un regroupement autoritaire de syndicats dans des Unions, un renforcement de l’autorité de la fédération sur les syndicats nationaux, un affaiblissement du rôle et de la place des tendances, la mise sous tutelle des sections départementales par la création de sections régionales, tout cela ayant pour objectif de noyer les tendances minoritaires dans de grands ensembles où la règle d’homogénéité des exécutifs permettrait à UID de garder la mainmise sur la FEN. Les opposants s’organisent alors et présentent ensemble la Charte de Clermont-Ferrand. C’est la première fois que des syndicats nationaux à directions diverses (UA, mais aussi EE ou Autrement), 30 SD FEN et 4 tendances réussissent à tomber d’accord sur un texte qui définit les règles du fonctionnement fédéral. Il faut mesurer l’effort de volonté unitaire qu’a constitué le fait de faire signer un texte commun à des militants aussi divers et éloignés idéologiquement les uns des autres qu’EE et le SNETAA. Ceci montre à quel point la Charte d’Amiens et le choix de l’autonomie de 48 avec le souci de maintenir l’unité étaient fortement inscrits dans les gènes de tous ces militants. UID a préféré l’explosion à la perte inéluctable à court terme de la direction, poussée en cela par une partie du PS (dont les historiens détermineront un jour le degré d’implication) qui voulait une organisation « à sa botte ».
L’exclusion du SNES et du SNEP en juin 1992, confirmée au Congrès de Créteil d’octobre, avec ses péripéties rocambolesques et judiciaires. Les statuts du SE sont déposés le jour même où l’exclusion est prononcée. Les directions départementales UA de la FEN dirigées par des membres du SNES ou du SNEP sont interdites. Les directions UA et EE des sections départementales du SNI-PEGC qui refusent de se plier aux injonctions de rejoindre le SE sont démises, privées de leurs mandats, de leurs décharges, des signatures sur les comptes, bref, des moyens de leur fonctionnement. L’administration aura face à cette scission des attitudes diverses : sanctions financières ou menaces de radiation contre les militants qui continueront à utiliser leur décharge ou bien, comme dans les Yvelines, transformation en décharge pour les militants des autorisations d’absence non utilisées par les élus dans les instances. Une circulaire du cabinet du ministre au printemps 93 mettra fin aux sanctions et permettra aux élus des personnels de poursuivre leur activité jusqu’à la fin de l’année scolaire.
La formation des CLU à Perpignan en décembre 92, dans la salle voisine où se tient le congrès extraordinaire FEN. Les CLU vont servir de structure provisoire pour accueillir petit à petit les SN qui vont quitter la FEN et les nouveaux SN que vont créer les minoritaires, comme le SNUIPP, le SNASUB, le SNICS, le SNUASEN ,
Enfin, la création de la FSU en avril 93. La FSU va devenir majoritaire aux élections professionnelles de décembre 93, alors qu’elle n’a encore que des statuts provisoires.
Les statuts de la FSU
Cette histoire chaotique explique pour une grande part les statuts de la FSU. En effet, en créant des statuts aussi particuliers, la FSU a voulu à la fois « faire comme la FEN et ne pas faire comme la FEN » .
Faire comme la FEN :
• Être une fédération de syndicats nationaux (art.1) tout en organisant la fédération au plan départemental,
• Reconnaître le droit de tendances,
• Se référer à la Charte d’Amiens et au syndicalisme de lutte,
• Se référer à la laïcité,
• Œuvrer pour la réunification syndicale. La FSU proposera des initiatives allant dans ce sens lors de presque tous les congrès. Sans efficacité jusqu’alors….
Ne pas faire comme la FEN :
• Renoncer à l’homogénéité des exécutifs. (Ce sont les syndicats et les sections départementales qui désignent leurs représentants dans les instances, CDFN – le Parlement – et BDFN – le Bureau ; il n’y a pas d’instance exécutive. Créé initialement, le BEFN a été supprimé),
• Ne pas établir de rapport hiérarchique entre la fédération et les syndicats (il n’y a pas d’« appareil » fédéral),
• Interdire à un syndicat ou à une tendance de détenir plus de la moitié des sièges au CDFN, même si son nombre d’adhérents ou le vote fédéral le lui permet,
• Fixer une majorité qualifiée de 70% (75% pour certains votes) pour voter les positions fédérales, ce qui oblige à des synthèses.
Malgré leur complexité, les statuts nous ont permis de fonctionner correctement. Quand, en 2004 à Perpignan, la FSU, après un débat difficile, a décidé d’ouvrir son champ de syndicalisation à toute la fonction publique, il a fallu accueillir des syndicats pour lesquels le droit de tendance ou la section départementale n’avait pas grand sens. On n’a pas eu besoin de modifier les statuts, ce qui prouve leur adaptabilité.
Des évolutions ont eu lieu sans remettre en cause les principes fondateurs :
Création de la SFR, section fédérale des retraités.
Création de la Coordination fédérale régionale (CFR). Cela n’a pas été sans mal, vu que c’était un des points d’achoppement au moment du congrès FEN de Clermont.
La nouvelle organisation territoriale va nous contraindre à approfondir cette question.
Mais à l’usage, il est apparu que certaines dispositions devaient être revues, par exemple la comptabilisation des abstentions dans les votes « binaires ». Ce sera l’objet d’une proposition au Congrès du Mans.